Communication directe
Accord n°1

Ce mois-ci : avril 2022, chaque mardi, je vous propose d’explorer avec moi un aspect de cette approche de la relation au sein des groupes que j’ai nommée Communication Directe.

Mon projet : écrire une série d’articles, faire une vidéo et publier une fiche récapitulative. Pour faire la vidéo, j’aimerais être interviewée par une personne qui connaît un peu le sujet de la communication et des relations interpersonnelles, notamment au sein des groupes / des organisations, est interpellée par la manière dont j’en parle et souhaite contribuer à me permettre de m’exprimer sur le sujet. Auriez-vous une idée à me suggérer ?

Pour commencer, de quoi s’agit-il ?

La Communication Directe est une approche de la communication basée sur des accords, c’est-à-dire sur l’adhésion des personnes concernées, la co-création d’un jeu relationnel, qui se joue donc à plusieurs. On peut bien entendu commencer à 2 🙂 !

Avant d’aller plus loin, je vous invite à penser à une personne avec laquelle vous avez envie d’approfondir le lien et à qui vous seriez prêt-e à proposer de vivre cette expérience. Ça peut aussi être un groupe. Vous avez une idée ?

La suite ? La voici !

La Communication Directe est une invitation (en 3 accords) :

Accord n° 1

A jouer le jeu de prendre la responsabilité de tout ce qui se passe à l’intérieur de nous : sensations corporelles, émotions, pensées ainsi qu’images, désirs, mémoires, croyances et représentations. Et aussi de ce qui s’exprime à travers nous : langage non-verbal, paroles, et actions.

Accord n° 2

A reconnaître collectivement les 5 obstacles à la compréhension mutuelle que sont : l’évitement, la projection, la réactivité, la victimisation, et l’exigence, et à observer tranquillement la manière dont nous utilisons ces obstacles par habitude, par peur, par manque de conscience ou de soutien.

Accord n° 3

Et enfin, à prendre conscience et à développer notre pouvoir de communiquer en connexion à nous-mêmes et aux autres, d’une manière tout à la fois honnête, claire, empathique et directe.

Un accord sur la responsabilité personnelle

Aujourd’hui, nous allons d’abord nous pencher sur le 1er point : la notion de responsabilité. C’est parti !

C’est Thomas qui a écrit la base qui a servi à élaborer le texte suivant, initialement à l’attention d’un groupe de travail sur la charte relationnelle d’une association avec laquelle nous travaillons en ce moment. Nous avions discuté avec l’une des membres de ce groupe de l’injonction à l’autonomie émotionnelle qui existe parfois dans les groupes à partir de cette phrase, que vous avez peut-être déjà entendue : « Ce sont tes émotions, cela t’appartient ! » avec le sous-entendu suivant : « Et je n’ai rien à voir avec ça ! Je ne veux donc pas t’entendre ».

Un mode de communication basé sur des accords permet de poser une conscience et une responsabilité commune sur les enjeux relationnels. En cela, il se distingue des préconisations de la Communication NonViolente (CNV) qui concernent des contextes où je choisis de porter individuellement 100 % de la responsabilité de mon vécu et de la manière d’être en relation :

  • parce que je ne peux pas m’appuyer sur un cadre préexistant qui soit en phase avec mes valeurs et mes besoins. Par exemple : je fais l’effort d’écouter de façon empathique afin d’augmenter mes chances de me faire entendre (par mon patron, par un voisin mécontent…) ;
  • ou parce que j’ai un rôle vis-à-vis d’autrui et la volonté de le remplir en cohérence avec une éthique non-violente. Par exemple : j’interviens en tant que médiateur ou thérapeute, je suis au service de mes clients. Je suis parent ou éducateur, je m’occupe des enfants, ils n’ont pas à s’occuper de mes besoins affectifs.

Dans le contexte d’un collectif qui partage l’objectif de soutenir des relations de qualité en son sein, formuler des accords (dans une charte par exemple) permet :

  • de disposer de repères sécurisants qui ne sont pas dépendants des dynamiques relationnelles interpersonnelles, ni des représentations des un-e-s et des autres sur ce qui se fait ou ne se fait pas.
  • de questionner les croyances, attentes ou normes relationnelles implicites héritées de la culture, comme le fait de ne pas pleurer, de ne pas rire trop fort ou de manifester sa joie de manière spontanée, surtout en public ! De ne jamais lever la voix, de ne pas parler de soi, ni de ses peurs, de ne pas demander ce que je veux, ni de dire NON suffisamment clairement pour me faire comprendre : tout cela est bien trop risqué ! 😉

Des accords collectifs explicites basés sur la Communication Directe offrent un socle commun de légitimité pour que chaque personne puisse tout simplement exprimer ce dont elle fait l’expérience, à l’intérieur d’elle-même.

Sur quelle base créer des accords ?

Des accords relationnels sont applicables et soutenants s’ils n’incluent pas de prescriptions irréalistes sur « la bonne manière » de communiquer avec les autres membres du collectif (nous reviendrons sur ce que nous estimons être des accords réalistes). Il y a en effet des inégalités dans les compétences en matière d’intelligence émotionnelle et relationnelle, et nous ne sommes pas à tout moment en pleine possession de nos moyens (fatigue, réactivité et projections suscitées par certaines personnes, situations ou sujets délicats, etc.). C’est la raison pour laquelle, dans la Communication Directe, nous parlons de l’utilisation de POUVOIRS pour nommer les formes possibles prises par la communication, qui me permettent à priori de prendre plus ma responsabilité dans l’interaction, mais ne sont pas des injonctions à parler de telle ou telle façon.

Par ailleurs, comme nous le verrons dans les articles suivants, ces pouvoirs se cultivent collectivement, en jouant ensemble et en dédramatisant « nos maladresses » pour retrouver la confiance que nous apprenons ensemble et qu’il n’y a pas besoin pour cela de se mettre la pression : c’est naturel, cela se fait tout seul et il est même contre-productif de vouloir tirer sur nos capacités comme sur des brins d’herbe pour les faire pousser plus vite : cela fonctionne plus simplement, avec de l’amour et de l’eau fraîche 😉 !

Ici, nous faisons le choix de ne pas nous focaliser sur l’effort individuel à « bien » communiquer (en tirant sur le brin d’herbe) mais plutôt :

1) Sur le fait d’oser dire ce qui est présent pour moi ici et maintenant, de la manière dont il m’est possible de le faire ici et maintenant. Il est à notre avis beaucoup plus important d’exprimer ce qui se passe pour moi dans le moment que de remettre à plus tard, au jour où je serai capable de l’exprimer « en langue girafe » (CNV). Car ce qui n’est pas exprimé s’accumule, crée de l’évitement, de la tension, et de la distance relationnelle… et contribue au risque de conflit douloureux. A cela, nous préférons le micro-conflit, le conflit exprimé dans la vie de tous les jours, le conflit qui génère peut être de l’inconfort pendant 5 à 30 secondes mais reste « sans douleur » et sans conséquence négative sur le long terme. J’imagine que vous voyez ce que je veux dire.

2) Sur le fait de recevoir ce qui est exprimé avec la conscience des accords communs et de mon pouvoir personnel.

Lorsque je reçois un message, je peux me rappeler qu’il existe des accords communs. Par exemple, l’accord partagé : « Nous assumons la responsabilité de sentir et d’exprimer nos émotions » continue d’exister même dans la situation où une personne est très en colère avec moi et n’est pas en conscience de cet accord ni en capacité d’exprimer – sur le moment – cette émotion en cohérence avec celui-ci.

Cette personne peut par exemple se raconter des histoires fictives sur elle-même, les autres ou le monde qui l’entoure, exprimer du ressentiment, se sentir victime, accuser les autres et exiger réparation… tout en laissant sortir sous la forme de mouvements énergiques des tensions accumulées dans son corps pendant des jours (des semaines, des années, des décennies…).

Face à cette personne qui exprime sa colère avec bruit, j’ai la possibilité – et la légitimité :

  • de sentir et de dire ce qui est présent pour moi,
  • de sortir des injonctions à la gentillesse pour m’exprimer avec l’énergie de l’émotion présente.
 

Par exemple, si une personne pleure et que cela m’insupporte, je n’ai pas à faire semblant de compatir… Si cela m’agace, si ce n’est pas le moment pour moi : c’est ok ! C’est ce qui est présent maintenant et le fait de le voir et de le nommer offre probablement plus de chance à la connexion et à la confiance que le fait de me contraindre à montrer une disponibilité que je n’ai pas sur le moment !

  • de prendre en compte mes besoins et de demander ce que je veux : disposer de temps pour me préparer à écouter, avoir une autre personne à mes côtés pour me soutenir, ajuster la proximité / la distance physique entre nous, etc.
  • de poser mes limites : dire STOP ! ATTENDS ! ou PAUSE ! ou encore de reporter l’échange si l’autre ne peut prendre en compte mes demandes ou si je ne suis tout simplement pas en mesure d’écouter la personne qui s’adresse à moi.

En résumé

Le mot responsabilité est dénué de jugement de valeur positif ou négatif et signifie ici, dans le cadre de ce jeu :

Je suis la personne au centre de mon expérience, le témoin au 1er rang de mon théâtre intérieur. C’est moi qui fait le choix (consciemment ou inconsciemment) :

  • de me connecter ou non à ce monde intérieur (écoute, auto-empathie, déni, jugement…),
  • de prendre conscience de ce que je recherche (ou d’éviter le sujet…),
  •  de ce que je choisis de d’exprimer, de matérialiser (éventuellement…), par l’action ou par la parole.

 

Dans la relation, je suis responsable « de mon côté de l’écharpe » :

  •  je peux légitimement être sollicitée pour répondre à une demande de clarification ou d’action en lien avec une de mes paroles ou actions ayant eu un impact sur une autre personne.
  •  je suis responsable de contribuer au maintien d’un climat de communication ouverte et directe.

 

Cela inclut par exemple :

1) L’observation de mes perceptions :

  • ce que je perçois de mes sensations corporelles et par mes sens,
  •  mes émotions,
  •  mes pensées (images, questionnements, points de vue, jugements…),

 

2) L’identification de ces catégories de perceptions à des fins de clarté pour moi-même et dans la communication :

  • « je sens ceci à tel endroit de mon corps… »,
  • « je vois… »,
  • « j’ai entendu… »,
  • « je ressens… »,
  • « j’imagine… », …

 

3) Le partage de ces informations avec la ou les personnes concernées, dans l’espace approprié.

Je ne m’attendais pas à obtenir un texte de 3 pages… je suis contente 🙂 Et vous, êtes-vous arrivé-e jusque là ? Je me demande ce que vous sentez, ici et maintenant, dans votre corps, à la lecture de cet article. Avez-vous envie de partager une réflexion ? De me poser une question ?

De mon côté, j’ai un peu mal aux fesses… je suis assise depuis trop longtemps ! Il est temps pour moi de bouger !

La suite mardi prochain, sur le point n° 2 : les obstacles à la communication.

A très vite !

Fleur