Et si nous faisions du monde un grand terrain de jeu ?

J’ai la très grande joie de démarrer la facilitation d’un cursus de formation sur la Co-Création. Nous avons commencé hier, avec Thomas, à préparer « le scénario » du module d’introduction, nécessaire pour la complétion du dossier Qualiopi. Je travaille en effet au sein d’une coopérative, Formacoop, que je remercie au passage pour son travail : je n’ai plus en effet qu’à compléter les documents existants (ce qui représente déjà un morceau ! Et là, j’en profite aussi pour remercier Thomas pour son aide qui me permet de m’approprier tout ça progressivement !)  

J’ai présenté mon travail le soir à Thomas et à Louise. Dans le cours de l’échange, nous en sommes venus à parler de ce en quoi cette formation est en fait le plus beau cadeau que je puisse faire, le partage de ce qui m’est le plus précieux… et qui s’origine à la fois dans ma plus grande blessure.  Cet article est une tentative d’expliciter cette dynamique, qui me semble si centrale, du passage d’un motif de l’ombre à la lumière. 

Mon ambition ultime est de pouvoir jouer, et notamment de pouvoir jouer avec d’autres être humains. Et aussi d’apporter ma contribution pour que d’autres êtres humains puissent jouer les un-e-s avec les autres, parce que j’imagine que c’est ce que nous sommes venus faire ici sur Terre : jouer.   Jouer, pour moi, c’est être en connexion avec mon intériorité : mes sensations, mes pensées et avec tout ce qui est autour de moi, et notamment avec d’autres êtres / des humains, de manière spontanée et créative, à l’écoute de mes élans, dans l’instant présent, dans le respect des limites posées par l’environnement, et notamment celles des personnes.

Jouer, c’est être avec ce qui est, improviser, vivre le plaisir d’être en vie et d’avoir des sens qui nous permettent de jouir de la beauté du monde : voir, entendre, toucher, sentir, goûter. S’émerveiller, rire, et partager ces réjouissances lorsque c’est possible.  La notion de jeu suppose que tou-te-s les parties concernées trouvent que cela ressemble bien à un jeu. En quelque sorte, que chacun-e puisse donner son consentement et y trouve son compte. Y compris la Terre. Le jeu, dans le plein sens de ce que je cherche à exprimer, suppose une relation gagnant-gagnant avec notre environnement, notre planète.   

C’est ma vision. C’est ce à quoi je veux contribuer : faire de notre maison commune une aire de jeu sacrée, de joie partagée, d’interrelations mutuellement profitables.  Alors bien sur je peux jouer seule, jouer dans la nature, jouer avec les arbres, le vent, les infinies couleurs et textures du monde, avec mes images, ma mémoire, mon monde intérieur. J’aime néanmoins tellement jouer avec d’autres !  Le plus souvent, je suis confrontée à la difficulté d’explorer ce mode « jeu » avec les adultes que je suis amenée à côtoyer. Bien sur, je peux accepter, momentanément, en fonction des circonstances, de jouer le mode par défaut des interactions convenues. Mais pas trop longtemps, et pas trop souvent ! 

J’ai besoin de vivre régulièrement des interactions avec des personnes qui ont accès à ce qui est vivant en elles, peuvent m’accueillir dans mon vécu, ont accès à leurs désirs, osent les nommer, proposent, invitent, disent ce qu’elles apprécient et aussi ce qui ne leur convient pas. Hum, ma satisfaction est grande lorsque je peux faire l’expérience de ce type d’interaction ! 

Ce que à quoi j’aspire aujourd’hui, c’est à cette liberté d’être, de vivre la relation avec des personnes libres, d’explorer cette expérience singulière qu’est la vie, le fait de vivre dans l’ici et maintenant, ensemble, et de donner forme au monde dans lequel nous voulons vivre : l’enfanter, l’enchanter, le co-créer ! 

Le cursus sur la Co-création auquel je suis en train de donner naissance est l’aboutissement de mes recherches sur la question suivante : quels sont les ingrédients nécessaires pour vivre / permettre ce mode « jeu » ? 

Pour pouvoir jouer, j’ai besoin de me sentir libre. Et pour me sentir libre, j’ai besoin de me sentir en sécurité.  Pour me sentir en sécurité, j’ai plusieurs besoins :

– que l’espace et la temporalité soient définis et posés clairement, ainsi que l’accès au statut de participant-e

– en tant que participant-e, je veux connaître mes droits et mes devoirs de joueur-se. Je souhaite notamment avoir le droit de dire ce qui me convient ou ne me convient pas et être entendue et prise en compte lorsque cela est possible. 

– si ce n’est pas possible, j’aime le savoir et obtenir des explications honnêtes

– j’ai besoin que l’intention du jeu soit nommée de manière claire par la ou les personnes qui initient le jeu. J’ai une préférence pour le fait que l’intention soit évolutive, c’est-à-dire susceptible d’être adaptée aux envies / besoins des personnes présentes. Cela suppose que la personne qui initie sait ce qu’elle recherche et peut se positionner, ou négocier… 

– cela suppose un mode de prise de décision partagé entre les joueur-se-s et des conditions claires pour faire évoluer le jeu : Qui peut proposer ? Quoi ? Comment ? À quel moment ?… 

– j’ai besoin de connaître les contours du « terrain de jeu » : ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Ce que nous appelons couramment les règles du jeu

– dans ce jeu, si d’autres personnes sont présentes, j’ai besoin de savoir qu’elles sont ok avec l’intention, ok avec les règles, et ok pour poser leurs limites lorsque quelque chose ne leur convient pas ou plus. 

– j’ai besoin de savoir qu’au-moins une personne connaît le jeu, son intention, ses règles, pour que si moi ou quelqu’un-e d’autre a une question ou se perd un peu en route, cette personne puisse répondre ou intervenir pour permettre de nous réajuster ou de prendre la décision de nous arrêter, ou encore de changer de jeu… 

– cela suppose donc des espaces de parole, pour prendre un peu de recul et mesurer l’écart entre ce que nous recherchons et ce que nous sommes effectivement en mesure d’accomplir. 

– j’ai besoin de savoir ce qui va se passer si quelqu’un constate que le jeu dévie ou qu’un accord n’est pas respecté. Je veux participer à un processus clair qui comprenne la dimension de la réponse aux écarts : qu’ils soient nommés, déjà, et sanctionnés éventuellement.  Ces conditions me permettent de savoir où je mets les pieds, de donner un consentement éclairé, et aussi de me sentir accueillie, incluse, acceptée comme je suis, acceptée aussi dans le fait de pouvoir commettre des erreurs même lorsque que cherche à respecter le cadre existant. C’est-à-dire de me sentir pleinement libre d’être moi-même

Mon expérience dans les groupes (famille, école, stages, formations, immersions et vie au sein de groupes humains) me fait dire que ces conditions sont rarement réunies. Ce sont pourtant des conditions de base pour que les personnes puissent se sentir considérées, autorisées, parties prenantes, actrices des intentions des entreprises humaines dont elles font partie

Ma blessure, c’est de regarder en arrière les circonstances de ma venue au monde, de mon enfance, de mon adolescence…, de constater l’écart entre ce dont j’ai fait l’expérience et ce qu’à postériori j’aurais préféré qu’il arrive, et de me raconter l’histoire que ma vie serait plus facile aujourd’hui si les personnes autour de moi avaient fait preuve d’un peu plus de conscience.  

Lorsque je regarde le monde dans lequel je vis, aujourd’hui, je sais que les choses se passent comme il est logique qu’elles se passent compte-tenu de l’existence d’une chaîne infinie et mystérieuse de causes et de conséquences qui remonte à l’origine de l’Univers.

Je constate l’écart entre la réalité et le monde plus beau auquel j’aspire, et comme je ne suis plus une petite enfant sans défense, je choisis de m’engager dans le monde, de plonger dans sa réalité et d’y développer ma vision d’un monde où chacun-e est en mesure de jouer librement, de jouer avec d’autres et de tisser des ponts entre les différentes aires de jeu

Ce sont ces ingrédients d’un jeu éthique, applicable à toutes les situations de la vie des humains en groupe que je souhaite partager dans le cadre de ce cursus de formation Invitation à la Co-création, dont la 1ère étape, le module d’introduction, démarre au printemps. 

Je suis heureuse d’avoir écrit cet article et j’espère qu’il vous aura inspiré. Je serais contente de lire vos impressions : images, ressentis et pensées si vous avez un moment pour les poser par écrit 🙂 

Au plaisir de vous rencontrer ou de vous retrouver bientôt ! 

Fleur