Ma vision du conflit et des relations dans les collectifs
Pour travailler ensemble, il me semble important de vous donner quelques points de repère à propos de ma philosophie, de mes valeurs.
Une saine coopération est possible… sous certaines conditions
Notre vie en tant qu’animaux sociaux et pensants implique sans cesse des choix où nous arbitrons entre nos intérêts individuels et les intérêts collectifs. Un groupe qui fonctionne bien permet à ses membres de coopérer en prenant en compte de façon équilibrée l’individuel et le collectif. Des recherches dans le monde entier ont mis en évidence que ces groupes qui fonctionnent bien répondent à certains critères. Ces derniers ont été adaptés afin de fournir une boussole pour l’action collective : les 8 principes de design Prosocial.
Le 6ème principe est d’être équipé pour la résolution rapide et équitable des conflits. Mais en réalité, la prise en compte des 8 principes permet d’intégrer de façon systémique les principales causes de dysfonctionnement collectif. Nous pensons en particulier :
- au principe 3 : Prise de décision équitable et inclusive ;
- au principe 4 : Suivi du respect des accords et transparence ;
- et au principe 5 : Réponse graduée aux comportements constructifs ou néfastes.
Accepter la tension entre nos aspirations et nos réalités
Comme dans tout projet qui s’efforce de construire une alternative à une réalité sociale décevante, votre groupe est sans doute porteur d’aspirations ambitieuses.
L’existence de conflits dans un groupe n’est pas en soi une anomalie : cela fait partie de la vie des humains et représente même des occasions pour le développement humain du groupe et de ses membres. La question importante dans un projet collectif est donc plutôt : quels moyens pouvons-nous nous donner pour que les tensions et les conflits puissent s’exprimer et se résoudre d’une manière constructive, à la fois pour les personnes et pour le collectif ? Comment saisir ces opportunités pour grandir ?
D’où vient la violence ?
C’est devenu un lieu commun de dire que les problèmes humains dans les groupes viennent de « l’ego ». Chacun devrait « travailler sur son ego » et si possible « le mettre de côté ». A moins que vous ne fassiez partie d’une communauté boudhiste, il s’agit pour nous d’un diagnostic vide qui empêche de comprendre la réalité de nos difficultés relationnelles et de trouver des solutions concrètes au sein du collectif.
Nous estimons important d’apporter dans les groupes des informations abordables sur les effets du conditionnement culturel, des traumatismes et sur le fonctionnement du système nerveux autonome, afin de sortir de la culpabilisation (de soi ou de l’autre) et de l’impuissance.
Apprivoiser le pouvoir avec méthode
Comment éviter les fréquentes dérives du pouvoir en un « pouvoir sur », c’est-à-dire des relations de domination ? Ces modes de relation sont les plus répandus dans notre culture et dans nos institutions, et il y a bien peu d’endroits où l’on peut apprendre à utiliser son pouvoir dans le sens de la coopération et d’un authentique respect mutuel. Nous avons tous dû nous adapter et apprendre à « survivre » dans des rapports dominant/dominé.
Le rejet de la hiérarchie conduit des groupes à expérimenter une organisation informelle, des pratiques de démocratie directe, ou encore la décision par consensus. Ces stratégies mobilisent beaucoup d’énergie et de temps au détriment de l’atteinte de résultats concrets et de l’expression du leadership de chacun-e.
Notre expérience nous a convaincu des grands bénéfices apportés par la méthode de gouvernance en cercles sociocratiques, en terme de sécurité psychologique, de considération envers les personnes, de créativité et d’efficacité collective.
Auto-détermination et responsabilité
Nous savons aussi qu’il n’y a pas un meilleur choix dans l’absolu sur le fonctionnement collectif : ce qui compte est de pouvoir faire des choix avec lesquels les personnes qui vont en assumer les conséquences se sentent vraiment en sécurité, dans leur réalité à l’instant T – et avec la conscience que de nouveaux choix peuvent être faits dans le futur, en fonction de leur nouvelle réalité.
Répondre au conflit par le dialogue, pour des solutions gagnant – gagnant
Il s’agit là d’un véritable choix collectif. En l’absence d’un positionnement clair, les automatismes sociaux dont nous sommes porteurs s’appliquent par défaut en cas de difficultés : évitement du conflit, retrait par rapport au collectif voire démission, violence larvée ou ouverte, y compris dans des formes « civiles » telles que la moquerie, l’indifférence, le mépris, la culpabilisation de soi ou de l’autre…
L’approche restaurative des conflits
Elle constitue une alternative à l’approche habituelle de la justice dite « rétributive », où il s’agit de faire payer la personne reconnue coupable d’une faute. Nous nous référons au travail sur ce sujet réalisé au Brésil par Dominic Barter, formateur en Communication NonViolente. Comparé aux pratiques habituelles de médiation, la richesse de cette approche est de s’appuyer sur la force de la communauté, du collectif, au lieu de tout faire reposer sur la volonté individuelle.
Construire des systèmes restauratifs
Il ne s’agit pas seulement de disposer d’un outil de gestion des conflits, mais de permettre au collectif de se doter d’une culture commune, de moyens adéquats et de compétences propres pour « restaurer », régénérer, les relations interpersonnelles et le fonctionnement collectif au fur et à mesure que les tensions surviennent.